Accueil / Je suis grand-parent / Comment aider et être utile / Mamie, j’aimerais que tu saches…
Des fois, mamie, tu te moques de moi parce que je t’énerve avec mes principes. Tu me dis que je me complique la vie avec les couches lavables ou mon pain maison, que je cuisine trop, que je suis trop stricte avec mes enfants concernant le sucre et le temps d’écran.
Parfois mamie, je te juge un peu… tendrement. D’autres fois, si fréquentes, je me censure. Parce que je t’aime et que je ne voudrais pas te blesser.
Je te comprends grand-maman. Pour toi, les couches jetables étaient le summum de l’innovation. Le nec plus ultra pour se simplifier la vie à une époque sans congé de maternité, sans CPE et sans partage des tâches domestiques. Je te comprends tellement. La majorité des femmes de ta génération n’ont pas allaité. Pas certaine que les habitudes maternelles auraient changé sans les congés parentaux prolongés et l’implication de nos hommes. C’est grâce à vous en fait! Parce que vous vous êtes battues pour une société égalitaire, une société qui encourage à la fois la famille et l’émancipation de la femme. Parce que vous avez éduqué nos hommes autrement. Merci!
Vous avez construit votre nid différemment. Sans mépris pour vos parents. Mais par amour pour nous. Pour nous tricoter un monde meilleur.
Nous sommes devenus parents, et vous, grands-parents.
Grand-maman, t’as maintenu avec tes petits-enfants les mêmes habitudes qu’avec nous. Chaque Noël, tu offres pareil nombre de présents à chacun de nos cocos. Parce que l’abondance est un cadeau en soi. Parce que tu accordes beaucoup d’importance à l’équité. Vous avez 8 petits enfants. Ça fait énormément de cadeaux à Noël. Un marathon de déballage de bébelles et de remplissage de poubelles. Certains cadeaux reçoivent très peu d’attention. Parce qu’il y en a trop. De retour dans notre maison, on doit effectuer le tri. Pour chaque jouet qui entre, un autre doit sortir. Il faut parfois argumenter avec les gamins afin qu’ils ne rejettent pas le jeu qu’ils viennent de recevoir. Pour ne pas vous blesser. D’autres fois, le choix s’impose. On donne une bébelle qui traîne depuis un moment dans le fond du coffre, un bien mignon objet sans intérêt. Il y a aussi tous ces paquets de craies ou de feutres qui durent 3 jours, que j’ai jetés en cachette, parce qu’ils en possèdent une collection, parce que ça vient dans tous les ensembles de bricolage vendus au rabais. Il y a ces jouets qui brisent tout de suite, mal conçus ou qui ressemblent à 8 autres. Pour un bambin de 2 ans, les choix sont limités, les fabricants tournent en rond. Pour conserver notre bonne conscience, on l’expédie au Village des valeurs. Pour encourager l’économie sociale. Pour les tout-petits qui n’ont pas de jouets. Mais avec les pompiers, les policiers et tous ces organismes qui proposent des joujoux neufs dans les quartiers défavorisés, en reste-t-il tant que ça des enfants qui s’amuseront réellement avec ces babioles seconde main et sans intérêt pour nos gamins? Peu importe, on se donne bonne conscience. Et moi, je m’égare du sujet.
J’ai hérité de ton sens de la justice, grand-maman. En tant que parent comme en tant que directrice, j’achale tout le monde avec mes questions d’équité. Je pense à toi chaque fois. Je te ressemble davantage que je me l’étais promis à l’adolescence. Il n’y a que nos routes qui sont différentes. Tu m’as assurément légué tes lunettes, mais je n’observe pas toujours les choses du même angle que toi. Pour toi, la justice s’exprimait par le nombre. Ça me fait chaque fois un bref pincement au cœur d’incarner la mère cheap, qui n’offre qu’un ou deux présents. En plus, on donne généralement des livres et des vêtements. Le père Noël ne ferait jamais ça! La vraie fête se déroule chez Mamie et Papi bien entendu. Ça me provoque bien un serrement de constater cela, mais pour moi, l’important est d’offrir à ma progéniture une planète pas plus souffrante que je ne l’ai connue. Je veux que mes enfants et mes petits-enfants bénéficient aussi de cette chance de voir grandir leur descendance. C’est ainsi que se traduit mon équité, je lui sacrifie des plaisirs éphémères ainsi que des moments de paresse.
À toi et à tous les grands-parents persuadés que Noël crée un beau prétexte pour déclencher une catastrophe écologique, sachez que nous ne dénigrons pas vos valeurs. Elles nous ont enveloppés dès le berceau et nous avons grandi, appris à travers elles. C’est ce même bonheur d’enfance que nous souhaitons revivre avec notre progéniture… en l’adaptant légèrement, dans l’air du temps.
Parfois mamie, je te critique un peu… pas toujours si tendrement pour dire vrai! Je m’en excuse! Mais sache que, plus souvent, je me censure. Je me projette à ta place parce qu’un jour, ce sera moi la mamie. C’est à moi qu’une toute nouvelle mère confiera son poupon sous conditions de respecter ses recommandations. Ce sera ma fille qui lèvera les yeux au plafond ou me fera un sourire semi-condescendant lorsque je lui donnerai des conseils. On m’expliquera que ce n’est plus comme ça qu’on nourrit ou éduque les bébés. Même lorsque les mots s’envelopperont de tendresse, je me sentirai vieille et dépassée. J’aurai mal en pensant à l’amour et aux soins que je lui ai offerts et qu’elle considère désormais inadéquats. Je serai vexée en me rappelant tous ces livres que j’ai lus, ces études que j’ai consultées, ces conférences et ateliers auxquels j’ai participé parce que leur éducation avait tant d’importance pour moi. Comme si le développement de l’enfant se métamorphosait tous les 10 ans. Il existera évidemment de nouvelles études, de nouveaux apprentissages sur l’alimentation ou la psychologie du nourrisson. Mais il y aura surtout cette roue qui tourne constamment, cette aiguille qui se balade d’un pôle à l’autre sans toutefois s’arrêter au centre.
Si j’étais toi grand-maman, ça me ferait de la peine de voir mes héritiers renier la manière dont je les ai éduqués. Et pourtant, c’est l’éducation que tu nous as donnée qui nous a conduits ailleurs. Il y a eu la Grande Crise, la guerre, les guerres, recevoir des oranges pour Noël et s’en trouvait satisfaite. Enfant, tu détenais le privilège d’avoir une voiture devant la maison et une télévision en couleurs dans ton salon. Tes amis s’invitaient chez toi pour contempler l’écran, et vous étiez contents. Nous avons connu l’abondance. Vous pouviez nous l’offrir. C’est ce que voulait dire pour toi « faire mieux que tes parents ». Nous donner plus. Nous gâter davantage. Puis l’abondance est devenue surconsommation. On a fini par s’intéresser à ses effets.
Tu sais grand-maman, je te comprends. Je suis déjà vieille aux yeux de mes gamins. Je suis déjà celle qui ne comprend pas grand-chose, et ça ne s’arrangera pas avec le temps. Mais ils m’aiment. Comme je t’aime. À la folie. Tu sais grand-maman, que pour mes enfants, t’es la meilleure des mamies… avec ou sans tes millions de présents.
Et vous, parents et grands-parents, quel conflit intergénérationnel affecte le plus vos relations?
Rédaction :
Équipe blogueurs Vie de Parents, Mélissa Meunier
Mise à jour : 6 novembre 2020