ARTICLE
La dernière maison
J’ai décidé de cultiver du positif, de semer une graine d’espoir et de montrer que la vie est belle aussi pour nos résidents en centre d’hébergement de soins de longue durée.
Depuis que les temps ont changé, nous on va bien.
Nos résidents n’ont pas changé, eux. Leurs besoins sont pareils. À l’ombre du virus dont on ne doit pas prononcer le nom, nous on soigne. On discute et on échange. On donne le même amour et on éclate encore de rire lorsque la spontanéité nous surprend et nous attendrit.
On s’inquiète mais notre bonne humeur est encore là. On fait sourire nos yeux faute de montrer notre bouche en raison du masque et on se change à l’arrivée et en quittant pour nous isoler de tous les microbes. On protège nos aînés, on augmente notre vigilance d’un cran et la paranoïa nous donne raison jusqu’à maintenant. On tient le fort, tout le monde à l’abri.
Les petites fleurs ont toujours la même patience.
Ti-mine est toujours aussi bien traité.
Ursule chante toujours pour faire rire et passe le flambeau à sa copine du soir qui elle, fait danser, pour divertir, tsé.
L’harmonica est à sa place habituelle, dans la poche gauche. Il se fait remplacer à l’occasion par la petite voiture du même propriétaire.
On pleure quand on voit des enfants venir souhaiter bonne fête Grand-Maman par la fenêtre avec des pancartes, parce que nous aussi ça nous brise le cœur de les voir célébrer seulement avec nous.
On accueille la tristesse quand elle passe, mais on essaie de consoler en rappelant le passé, en jasant du dernier souvenir à lequel on s’accroche, on parle des enfants.
Plusieurs numéros de téléphone en mémoire, une façon de placer les couvertures, une heure pour mettre la jaquette, parce que se détendre, ça soulage. Connaître les habitudes et apporter le réconfort de celui qui connaît; les heures de coucher, la collation qui fait du bien au cœur, le clin d’oeil qui change tout dans une journée, un rouge à lèvres, une coiffure par les employés qui s’improvisent mais qui assurent.
On tient le fort, coûte que coûte. On barre les portes mais on donne des nouvelles. On fait livrer des petits luxes et on renforce la surveillance quand on voit que, ça pèse, l’absence des êtres chers. On utilise la technologie pour mettre du baume et on veille à faire encore plus d’efforts pour éviter les cœurs brisés.
Et on va bien. Malgré tout. On se serre les coudes, on écoute les consignes et on protège, malgré la fatigue. Comme notre famille. Peu importe le nombre d’heures.
Hier, aujourd’hui et demain.